Plus la prière est efficace, si elle est faite comme il se doit, plus l'ennemi, selon son habitude, est habile à lui faire obstacle. Parfois, en effet, la prière est fortement entravée par un manque de courage spirituel ou une crainte excessive. Or cela se fait d'ordinaire lorsque l'homme pense tellement à sa propre indignité qu'il ne tourne plus les yeux vers la bonté de Dieu. Car "l'abîme appelle l'abîme", l'abîme lumineux appelle l'abîme de ténèbres, l'abîme de miséricorde l'abîme de misère.
Profond, en effet, est le cœur de l'homme et insondable. Mais si mon iniquité est grande, bien plus grande encore, Seigneur, est ta bonté. Aussi, lorsqu'il arrive à mon âme de se troubler à mon sujet, je me rappelle l'immensité de ta miséricorde et je reprends souffle en elle ; et lorsque j'entrevois ce dont je suis capable, je ne veux pas me souvenir de ta seule justice.
Cependant, s'il y a péril lorsque la prière se fait trop timide, le danger n'est pas moindre au contraire, mais plus grand encore si elle a trop d'aplomb. À propos de ceux qui prient ainsi, écoute ce que le Seigneur dit au prophète : "Crie sans arrêt ; comme une trompette, élève la voix". Comme une trompette, dit-il, car il faut reprendre avec un esprit véhément ceux qui font preuve d'un aplomb excessif. "Ils me cherchent, en effet", eux qui ne se sont pas encore trouvés eux-mêmes !
Je ne dis pas cela pour empêcher les pécheurs de prier avec confiance, mais je veux qu'ils prient à la manière d'un peuple qui a péché, et non pratiqué la justice. Qu'ils prient pour obtenir le pardon de leurs péchés avec une âme brisée et dans un esprit d'humilité, comme ce publicain qui disait : "Dieu, aie pitié de moi, pécheur". Je parle, en effet, d'excès d'assurance quand celui dont la conscience est encore sous l'emprise du péché ou de quelque vice, marche sur un chemin de grandeurs et de merveilles qui le dépassent, sans s'occuper le moins du monde du danger que court son âme.
Le troisième péril qui menace la prière, c'est qu'elle soit tiède au lieu de jaillir d'un vif élan de nos forces affectives.
Ainsi donc, timide, la prière ne pénètre pas dans le ciel, car une crainte excessive comprime l'esprit, si bien que la prière est incapable, je ne dis pas de s'élever, mais de jaillir. Tiède, elle languit dans sa montée et retombe par manque de vigueur. Quant à la prière trop assurée, elle s'élève mais elle est rejetée, car Dieu lui résiste, et non seulement elle n'obtient pas la grâce, mais elle s'attire une disgrâce. Au contraire, la prière confiante, humble et fervente, pénétrera sans aucun doute dans le ciel d'où il est sûr qu'elle ne peut revenir les mains vides.
Saint BERNARD
Sermon 4 pour le Carême, N° 3 et 4.