Jean Daniélou
- Cela peut nous choquer d’entendre dire : prier c’est demander. Prier, n’est-ce pas d’abord adorer ? Certes, prier c’est d’abord adorer, c’est-à-dire nous laisser saisir par Dieu, par sa splendeur, par sa beauté, et ainsi laisser s’éveiller en nous cette forme d’admiration qu’est l’adoration. Mais prier c’est aussi demander, non pas au sens où la prière serait quelque chose d’intéressé, mais au sens où elle est l’expression de la pauvreté.
Nous prions parce que nous sommes des pauvres, au sens évangélique du mot : un pauvre, c’est quelqu’un qui a conscience d’être malade, indigent, misérable.
- Ne pas prier serait donc en quelque sorte être satisfait de soi-même, ne pas être conscient de sa misère. Nous avons besoin d’avoir cette conscience intime de notre misère, de sentir combien spirituellement nous sommes pauvres, combien nous connaissons peu Dieu, combien nous l’aimons peu, combien nous aimons peu nos frères. C’est en ce sens-là que Notre Seigneur a dit qu’il n’était pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs. Les justes sont ceux qui s’imaginent qu’ils sont ce qu’ils doivent être, alors qu’en réalité tous sont pécheurs. Sous son aspect fondamental, la prière est un cri jeté vers quelqu’un. Cette définition est celle de la prière universelle. Un homme commence à s’ouvrir à Dieu quand, prenant conscience de son impuissance à se tirer d’affaire tout seul, il a le geste d’avoir recours à Lui ; à partir de ce moment-là, il s’ouvre à la grâce.
La prière est un acte d’humilité : elle est humble, elle est la prière de ceux dont Notre Seigneur a dit : "Bienheureux les pauvres, bienheureux les humbles, car c’est à eux qu’appartient le Royaume. Bienheureux ceux qui ont faim et soif... bienheureux les persécutés". On peut considérer dans l’humanité, d’un côté, les pourvus et, d’un autre côté, les pauvres. Prier, c’est être avec les pauvres, avec tous les pauvres, les pauvres matériellement comme les pauvres spirituellement. C’est laisser s’exprimer en soi l’immense attente qui monte de l’humanité vers Dieu. Cette prière de pauvreté nous ouvre en même temps aux dons de Dieu. À travers tout l’Évangile nous voyons que ce sont les pauvres qui se sont ouverts à Dieu.
Le "Notre Père", en particulier, est la prière du fils à l’égard du Père dont il se sait aimé. Nous ouvrons nos cœurs avec tous leurs besoins devant un Dieu qui est un Père : nous savons qu’Il nous aime et qu’Il ne désire que nous donner ce dont nous avons vraiment besoin. Il sait mieux que nous de quoi nous avons besoin et il est toujours prêt à nous le donner. C’est donc une prière qui doit être profondément confiante : nous offrons à Dieu les besoins de notre âme, nous pouvons être tout à fait nous-mêmes, avouer les choses dont nous souffrons le plus, nos échecs intérieurs, notre impuissance à aimer, notre impuissance à prier, toutes les indigences que nous sentons en nous, notre impuissance à réaliser ce que nous voudrions pour le Royaume de Dieu.
Mais il faut que nous puissions exprimer toutes ces misères en sachant que nous sommes aimés, et que celles-ci ne sont pas un obstacle à l’amour de Dieu pour nous. Tout l’Évangile est rempli de malades qui viennent trouver le Christ. Nous aussi nous sommes ces malades qui avons besoin d’être guéris. Pouvoir dire à Dieu tout ce que nous sentons, tout ce dont nous avons besoin, confère à notre prière quelque chose de très doux et de très vrai ; et cela nous met en même temps dans l’humilité et dans la simplicité.
Contemplation, croissance de l’Église, p. 38-40.