Job ou le mystère de la souffrance innocente

Anne Marie PELLETIER

Au point de départ du livre se trouve un conte, certainement très ancien (Xe siècle), provenant peut-être d'Edom ou de Transjordanie, en tout cas plein de références au monde du Proche-Orient du deuxième millénaire. Ce texte primitif traite de manière traditionnelle dans la Bible la question de la souffrance innocente. Il décrit le malheur qui vient frapper un homme riche et jusqu'alors heureux, dénommé Job (un nom largement attesté dans ces régions), personnage symbolique de la sagesse païenne. Celui-ci est présenté comme un contemporain des Patriarches, il est fils de l'Orient. Comme tel, il n'est donc pas un Israélite. En cela le Livre de Job a l'amplitude de l'universel et pose d'emblée la question de la souffrance innocente, indépendamment de toute appartenance religieuse. Le juste peut vivre jusqu'au bout l'épreuve de la souffrance sans que Dieu se manifeste en sa faveur. Tel est le scandale indépassable. Alors que dans le conte moyen-oriental, le héros souffrait mais gardait le silence, dans l'histoire juive ou judaïsée, il souffre du silence de Dieu plus que des catastrophes qui l'atteignent jusque dans sa chair.

 

On notera que Dieu s'adresse à Job du sein de la tempête, soit une formule caractéristique pour annoncer une « théophanie ». Ce qui va suivre est donc présenté comme faisant entrer Job dans le mystère de Dieu. On notera que l'intervention de Dieu est, d'un bout à l'autre faite d'interrogations adressées à Job. Il n'apporte donc à proprement parler aucune réponse aux questions accumulées dans les précédentes prises de parole de Job. Mais il parcourt devant lui toutes les dimensions de la création, des abîmes profonds de la mer aux astres du ciel, en passant par les animaux qui peuplent la terre. Le discours divin a pour fin de montrer, en des paroles d'une poésie flamboyante, comment sont à l'œuvre dans la création un ordre dont les lois dépassent totalement l'intelligence de l'homme, une maîtrise parfaitement déconcertante pour les forces humaines, l'un et l'autre issus des pensées de Dieu.

Dieu ne répond pas à Job par une explication. Il fait entrer dans une mys­térieuse vision, que Job désigne comme une délivrance, mais dont le lecteur ne reçoit aucune révélation plus précise. Après quoi Job, introduit dans cette lumière, se repent sur la poussière et sur la cendre : c'est là l'attitude finale dans laquelle il s'est montré. Elle n'est pas celle du désespéré qu'il était au début du livre. Elle est plutôt celle d'un homme dont les yeux se sont ouverts sur une vérité de lui-même qu'il ignorait jusqu'alors, et que le texte enveloppe soigneusement d'un halo de mystère. Ni le Livre de Job, ni la Bible en général, ne prétendent donner une réponse philosophique à la question de la souffrance. Derrière toute souffrance, il y a la miséricorde infinie de Dieu.

Commentaires sur Job, p. 201… 210.

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