Baudouin de Ford
Dans sa compassion pour autrui, l'âme se trouve en quelque sorte séparée d'elle-même et divisée en elle-même. Car, en voyant souffrir celui qu'elle aime, elle s'efforce de communier à cette douleur et de s'épancher ainsi hors d'elle. Oui, dans l'empressement de cette compassion, elle s'unit à autrui pour souffrir à sa place. Elle s'efforce, pour ainsi dire, en se répandant vers lui dans l'élan de cette compassion, de vivre auprès de celui dont elle ressent le tourment.
C'est ce qui amène le vieillard Syméon, d'abord, à prophétiser à propos du Christ : Voici, il a été destiné à devenir la chute et le relèvement de beaucoup en Israël et à être un signe en butte à la contradiction. Il ajoute ensuite, à propos de la bienheureuse Vierge : et toi-même, un glaive transpercera ton âme. Autrement dit : Un glaive transpercera ton âme comme si c'était la sienne.
On peut comprendre aussi : ton âme, la sienne dans le sens de ton âme même, c'est-à-dire ta propre âme. Conformément à cette interprétation-ci, adoptée par certains saints docteurs, l'Apôtre dit : Avec crainte et tremblement, travaillez à votre salut de vous-mêmes – entendons : votre propre salut.
Ainsi, la mère de Dieu, qui a aimé plus que quiconque et a été aimée plus que tous, a compati à la mort de son fils au point de l'endurer véritablement elle-même. C'est à l'ampleur de son amour que se mesure sa douleur. Aimant son fils plus qu'elle-même, les blessures qu'il a reçues dans son corps, elle en a ressenti, elle, la douleur au plus intime de son âme. La Passion du Christ a été pour elle un martyre. Car la chair du Christ, en un certain sens, a été sa chair : la chair de sa chair. Et cette chair qu'il a reçue d'elle, elle l'a plus encore aimée en lui qu'en elle-même.
Plus grand fut son amour, plus grande sa souffrance : elle a davantage enduré dans son âme qu'un martyr dans son corps. Aussi son éclat surpasse-t-il, par faveur unique, la gloire du martyre. De fait, tous les autres martyrs ont atteint la perfection par le martyre de leur propre mort, tandis qu'elle, elle a fourni de sa propre chair la chair qui devait souffrir pour le salut du monde. Dans la Passion du Christ, et en raison de cette Passion, son âme a ressenti une douleur si violente que son martyre a été comme consommé dans ce martyr qu'est le Christ. On peut donc penser que, après le Christ, c'est elle qui a obtenu la suprême gloire du martyre.
Grâce et beauté de la Vierge Marie, Pain de Cîteaux, série 3 ; n° 22, N.D. du Lac, 2004, Sermon 18, p. 128-129.